Henri Tsiang

Développement durable et qi gong

Développement Durable et Qi Gong

 

Henri Tsiang

 

 

 

Introduction

 

Depuis la fin du siècle dernier, toutes les activités humaines, dans les domaines économiques, industriels et politiques se doivent d’être durables. Le terme de développement durable est devenu incontournable pour désigner une croissance économique qui serait respectueuse de l’environnement, et serait non polluante. En revanche, le principe d’accumulation continue de biens n’est pas remis en cause. Ainsi, l’idée qu’une croissance soutenue est considérée comme une donnée incontournable du développement durable est plutôt consensuelle. Il s’agit simplement d’en aménager les modalités de fonctionnement pour que la croissance se poursuive dans des conditions jugées suffisantes pour respecter autant que faire se peut, l’environnement et les préoccupations sociales. Pour être politiquement correct, nous y ajouterons la nécessité du respect de la démocratie, déclaration aujourd’hui incontournable.

 

L’ensemble des actions peut se résumer en la recherche de solutions techniques pour diminuer, d’une part la consommation d’énergie nécessaire à ce développement ; or nous savons que les énergies fossiles ne pourront pas être indéfiniment exploitées ; d’autre part, une recherche est nécessaire pour diminuer la pollution et pour protéger l’environnement. Il est bien précisé que ces objectifs ne sont pas viables sans un changement radical de comportement des sociétés civiles concernées.  Face à la population mondiale, aucune stratégie n’est clairement proposée par la politique internationale en ce qui concerne le changement de comportement. Les prises de conscience et les actions militantes ont certes commencé à devenir visibles et à être médiatisées. Depuis une décennie, l’établissement du protocole de Kyoto a proposé des avancées significatives sans déboucher sur une politique autre que celle d’utiliser les avancées scientifiques pour …. maintenir une croissance sans laquelle l’économie mondiale s’effondrerait. La poursuite de ces actions à Bali en décembre 2007 montre à quel point la priorité sous-jacente à tous les discours est orientée vers le maintien d’un taux de croissance économique.

 

La médiatisation du développement durable est cependant en contradiction totale avec les revendications sociales dans les pays développés et ceux en voie de développement, mais également dans les pays pauvres. Ces revendications sont la plupart du temps, justifiées par l’histoire même de l’évolution des sociétés, à savoir, une bonne santé, un travail permettant une vie décente, une bonne éducation. Dans les pays les plus riches, elles se traduisent par une revendication pour des augmentations de salaires pour consommer plus que ce qui est possible dans la situation actuelle. Dans les pays moins fortunés, les revendications traduisent surtout une « fringale » pour rattraper le niveau de vie des pays les plus riches. Rien ne permet d’envisager que la majorité des populations va adopter un changement de comportement propre à changer le cours d’une croissance toujours plus exigeante.

 

Au niveau international, il serait nécessaire que se développe un débat philosophique et spirituel sur la responsabilité de chacun dans le changement de comportement nécessaire pour inverser la propension actuelle à vouloir consommer toujours plus. Une autre démarche plus individuelle serait d’adopter un mode de représentation de sa propre place dans la société qui permettrait d’exclure de ses priorités le besoin compulsif d’accumulation de biens matériels et de stock-options. Cette posture permettrait de retrouver le sens profond de l’existence de chacun par une vision centrée sur l’intériorité de l’être et non plus sur ses apparences.

 

Un certain nombre d’outils peuvent être envisagés pour effectuer ce changement de cap intérieur. Les religions peuvent être une voie de prédilection par la puissance d’une spiritualité revisitée. L’histoire conflictuelle des grandes religions contemporaines et la nécessité d’une laïcité revendiquée ne permettent pas d’aborder le problème avec une nécessaire sérénité.

 

Nous pensons qu’à titre individuel, une approche basée sur une pratique corporelle pourrait avoir quelque utilité.  A ce titre, le Qi Gong pourrait jouer ce rôle de catalyseur et participer à un changement de comportement suffisamment intime pour ne plus être tributaire des besoins engendrés par une société basée sur le dogme de la surconsommation. Les conséquences ne seraient pas seulement une amélioration du « bien-être » personnel mais de façon plus générale, à recentrer l’homme dans son environnement naturel et social.

 

 

Les atouts du Qi Gong

 

Il ne nous appartient pas de faire l’historique et de redéfinir les propriétés du Qi Gong. Signalons cependant quelques  grands traits qui peuvent éclairer la réflexion sur l’utilité du Qi Gong dans cette démarche. Ses propriétés intrinsèques permettent en effet d’aborder l’aspect individuel du changement de comportement humain face à une nécessaire refonte des valeurs qui prévalent aujourd’hui.

 

Cette pratique énergétique chinoise permet, au-delà des préoccupations de bien-être et d’amélioration de la santé, de retrouver un équilibre fondamental nécessaire à notre existence, et de revenir à la base des véritables dimensions de l’être humain. Le Qi Gong intervient en effet aussi bien sur le corps que sur l’esprit, considérés ici comme une entité unique et non dissociable. Cette double action harmonise les relations entre toutes les parties du corps et de l’esprit, permettant une redécouverte des liens subtils qui les relient et aboutissant à un approfondissement dans la connaissance de son propre « soi ». Par la pratique du Qi Gong, la compréhension de son corps « physique » et de son corps « esprit », aboutit à un réel recentrage des besoins fondamentaux de l’existence, débarrassés de tous les éléments superflus accumulés auparavant.

 

Comme le geste du Gi Qong qui nécessite concentration mentale, perception de tout son être, relâchement qui permettent de le réaliser dans une trajectoire « juste », les actes quotidiens peuvent être réalisés avec la sérénité mentale, la disponibilité d’esprit et la réflexion qui éclairent la répercussion de ceux-ci pour soi-même et son environnement.

 

Cette nouvelle posture se reflète nécessairement dans toutes les actions quotidiennes dont chaque geste sera vécu en pleine conscience de son importance relative, de son inutilité ou de sa réelle nécessité. Elle peut apporter un sentiment de plénitude en opposition à celui engendré par un comportement basé sur les réflexes primaires et compulsifs de satisfaction immédiate de désirs. Elle peut développer le sentiment d’être unifié en son être intime et en communication avec les réalités extérieures, rejoignant ainsi la conception chinoise d’être entre Ciel et Terre. On sait que la moindre action individuelle est en relation avec l’ensemble des actions qui se déroulent dans l’univers. Cette posture mentale permet ainsi d’être en harmonie avec toutes les énergies qui gouvernent le fonctionnement de la nature et de son environnement, et d’être en synergie avec ses semblables. Aller vers l’essentiel devient plus simple, la sagesse devient une entité palpable, une certaine forme de liberté authentique prend forme au-delà des libertés juridiques illusoires garanties par des idéologies de circonstance.

 

Bien entendu, le Qi Gong n’est pas le seul outil permettant un recentrage de l’individu. Certaines formes de Yoga permettent sans doute d’obtenir des résultats identiques. Le Zazen qui est basé sur des approches similaires peut également remplir ce rôle. Il convient pour chacun de faire le choix de ce qui convient le plus à sa propre personnalité et aux liens relationnels qui amènent chaque personne à s’engager dans telle ou telle démarche.

 

 

Les ambiguïtés du Développement Durable

 

La notion de développement durable a reçu un début d’attention essentiellement dans les pays industrialisés et les plus développés. Ce sont ces pays qui, de par leur développement industriel sauvage, avaient eu le plus de responsabilités dans la détérioration de l’environnement global au cours des deux derniers siècles. Une utilisation débridée des énergies fossiles, une exploitation éhontée des ressources naturelles dans le monde, et en particulier des populations les plus déshéritées de la terre a conduit à la situation actuelle. On ne peut que faire le constat du développement d’une société qui croule sous les biens de consommation, et un réchauffement climatique dont on craint le pire aujourd’hui. Ce sont ces mêmes pays qui réclament que les pays émergents, souvent d’anciennes colonies paupérisées par une exploitation économique et financière, endossent immédiatement les mêmes responsabilités. Or ces pays n’ont pas les moyens financiers, économiques et technologiques de transformer leur société en raison de leur situation précaire. Le « rattrapage » économique et industriel des pays émergents ne peut ainsi se faire que par un développement peu respectueux des nouvelles normes de protection de l’environnement, dans un contexte de « culpabilité » que les pays développés ne manquent pas d’alimenter. Par un invraisemblable retournement de situation, ce sont les pays émergents qui deviennent les plus stigmatisés pour leur participation au réchauffement climatique alors que leur participation par habitant à la consommation énergétique est encore très loin de celle des pays développés qui ont monopolisé les ressources énergétiques mondiales. 

 

Les moyens de respecter un développement durable nécessitent deux séries de mesures : 1/ des solutions techniques et managériales pour que les activités humaines dans la quotidienneté et dans les domaines de production agricole et industrielle respectent les critères de développement durable ; 2/ une réflexion philosophique sur le profil social et humain des populations qui vont devoir vivre avec d’autres aspirations que celles actuellement en cours. Le futur citoyen mondial devrait s’abstraire des pressions culturelles et médiatiques qui l’ont formaté comme une machine à consommer toujours plus. Il s’agit donc d’un véritable changement de cap sociétal dans une logique de « dé-consommation » vers une économie de décroissance. Les mentalités n’y sont certes pas préparées. La logique et les concepts économiques en cours ne permettent pas aux chefs d’entreprises et aux chefs d’état d’envisager une telle hypothèse. 

 

Dans la situation actuelle, les pays développés n’envisagent aucune démarche pour évoquer le profil idéalisé d’un citoyen du monde qui sera contraint à une vie plus économe et plus authentique. Ce débat philosophique ne semble pas être à l’ordre du jour. Les seules actions engagées sont de nature politiques et juridiques et visent à établir des normes techniques. Tous les débats se sont engagés dans l’adhésion ou non au protocole de Kyoto. Mais là encore, ce sont les préoccupations économiques qui mobilisent le plus les tractations entre pays.

 

En revanche, un débat est totalement absent sur la scène du développement durable, celui de la manière dont les hommes peuvent se projeter dans cette nouvelle relation avec son environnement. Ainsi en l’absence de débat philosophique, il n’y a pas de remise en cause du rôle de l’homme dans la nature. La relation dominant (l’Homme) dominé (la Nature) reste présente dans tous les comportements même chez les plus vertueux, inconscient de leur dépendance vis-à-vis d’un positionnement politiquement correct universel. En vérité, le développement durable s’exerce dans un contexte où l’homme ne fait plus partie de la nature mais la domine, où le libéralisme se traduit par un individualisme outrancier, où les responsabilités personnelles, en matière d’intérêt général, ont été totalement déléguées à la collectivité.

 

Il y a une contradiction flagrante entre les nécessités d’un développement durable nécessairement collectif, et un positionnement social basé sur l’épanouissement personnel qui passe par l’accumulation de biens matériels.

 

La relation symbiotique qui existait, et parfois existe encore entre l’homme et la nature, est essentiellement présente dans les rares populations qui ont été épargnées par le « progrès ». En général, ces populations ne sont plus perçues que comme des curiosités touristiques et non comme des exemples à suivre.

 

 

La logique de la consommation

 

Le développement économique est essentiellement lié à une politique de consommation. Celle-ci est basée sur la création de désirs artificiels de consommer. L’organisation de ces désirs s’articule autour de mécanismes très simples auxquels il est difficile de résister. Des études très sérieuses et très efficaces ont été faites pour faire consommer toujours plus. On sait que le principal moteur pour faire consommer réside dans la dialectique, éminemment efficace : « désir versus frustration ».

 

La perversion dans la surconsommation peut parfois conduire à des comportements d’addictions extrêmes qui deviennent pathologiques. La société crée ainsi des situations d’insatisfactions qui se reflètent par le stress.

 

Une partie des consommateurs pathologiques peuvent se retrouver dans des situations financières désastreuses par surendettement, incapables d’adopter un comportement social raisonnable. Il est intéressant de noter que les milieux financiers sont prêts à assumer le coût de ces dérives financières comme faisant partie des aléas à inclure dans les pertes et profits plutôt que de modifier des mécanismes financiers considérés comme très efficaces. La crise des « subprime[1]» aux Etats-Unis et le choc bancaire de la Société Générale confronté au double gouffre que représentent les conséquences du surendettement immobilier et aux manipulations boursières montrent que les systèmes financiers actuels ne remplissent plus leurs rôles d’outils pour la bonne marche de la société humaine. Ils sont en fait devenus des mécanismes monstrueux qui fonctionnent de façon indépendante des processus humains et dont la logique interne peut générer des catastrophes humaines, dénuée de responsabilité humaine. Nous en voyons hélas les effets alors que l’impact des conséquences est encore imprévisible et relève de la spéculation, et que la navigation à vue est la seule politique possible. Au siècle dernier, il existait une peur de la machine qui allait remplacer et broyer la vie des ouvriers. Aujourd’hui, les machines bancaires sont capables de jeter dans la rue des millions[2] de personnes à partir de règlementations auxquelles les citoyens n’ont pas eu à voter pour approuver leur application. La logique financière et boursière fonctionne de façon implacable pour créer les fossés sociaux, que les pays soient pauvres ou très riches.

 

Pour l’heure, rien ne laisse présager qu’une quelconque action puisse empêcher la spirale de la surconsommation. Tout le monde veut avoir plus d’argent pour acheter plus. D’ailleurs c’est bien l’augmentation du pouvoir d’achat qui est le maître mot pour tous, avoir plus pour dépenser plus pour des objets qui vont coûter de plus en plus cher. C’est ainsi que l’inflation aidant, ceux qui gagnent moins sont condamnés à ne plus pouvoir rien acheter, les prix ayant scandaleusement augmenté. Ce cercle infernal ne peut que provoquer une frustration de plus en plus grande pour ceux qui ont la chance de survivre, et une absence totale de perspective de vie pour ceux qui se trouvent exclus du cycle. Les principales promesses des dirigeants politiques sont basées sur la promesse d’une garantie de pouvoir d’achat. Les principales revendications des représentants de la population, c’est-à-dire les syndicats, ce sont des hausses de salaires. D’ailleurs qui peut envisager de déclarer qu’il faudrait gagner moins d’argent ?

 

Le développement durable peut-il faire l’économie d’une réflexion sur le versant du comportement du consommateur dans ses aspirations profondes ? Doit-on croire que les solutions techniques et industrielles, économiques et politiques sont les seules capables de résoudre les défis humains de demain ?

 

Quels changements de comportement ?

 

Je reste persuadé qu’il est nécessaire de penser à l’homme en tant que pivot des changements à penser ou à réaliser. Autrement dit, à revisiter les besoins fondamentaux des humains, à débarrasser des utopies consuméristes dont les ont affublées un siècle de marketing forcené qui ont abouti à l’ « homo consumériste universel » ? Mais les comportements, lorsqu’ils sont façonnés par des décennies de certitudes consensuelles sont difficiles à modifier. Tel un tanker lancé dans sa course, il lui faut des kilomètres avant de pouvoir freiner. S’il existe des frémissements dans le comportement d’un nombre limité d’individus, pour le moment aucune gouvernance n’annonce la nécessité de modifier la course du luxueux paquebot « comportement » battant pavillon du progrès perpétuel. Dans ce paquebot, les premières classes peuvent vivre en effet luxueusement, servies par un personnel stylé et efficace. On oublie ceux qui moins nantis sont malgré tout satisfaits, dans les ponts inférieurs, de croire qu’ils appartiennent à une classe encore privilégiés. Mais dans les cales, il y a aussi des clandestins qui ne savent pas où ils vont débarquer, s’ils vont survivre au trajet, et qui sont malgré eux, emportés dans un voyage qu’ils n’avaient pas prévu. Tous sont sur le même bateau ; avec des conforts très disparates.

 

En l’absence d’une volonté collective d’initier ces changements comportementaux, on peut à défaut, envisager des démarches individuelles diversifiées pour mieux s’adapter à toutes les pressions sociales auxquelles nous sommes soumis. Certes, il existe des vagues de fond qui prônent les changements souhaitables. Les militants sous différentes formes et rubriques ont effectivement participé à une prise de conscience collective  et à des actions médiatisées qui ont parfois abouti à des résultats concrets. En général, il s’agit d’aménagements du développement durable et de la protection de l’environnement, mais qui ne changent pas le cap du navire.

 

En réalité, un changement de comportement en profondeur est nécessaire. Il concerne une démarche individuelle qui nécessite une revisite de toutes les valeurs fondamentales et des repères sociaux qui ont construit la personnalité de chacun. Dans cette démarche la pratique du Qi Gong peut apporter, sinon des solutions, du moins, des méthodes d’approche.

 

Une renaissance culturelle en Chine

 

Dans cette situation générale, le renouveau des valeurs traditionnelles asiatiques, en particulier en Chine, mérite d’être observé avec intérêt. En effet, en Asie l’homme n’est pas considéré comme l’aboutissement d’un processus d’améliorations successives qui en ferait un être supérieur. Les asiatique se perçoivent comme des êtres vivants peu différents des autres habitants de la terre, c’est-à-dire de tout ce qui est vivant, des mammifères et des plantes, et même de tout objet inerte.

 

Le renouveau des valeurs traditionnelles chinoises au cours de ces dernières années a été accompagné du développement populaire des arts martiaux et des arts énergétiques (Tai Ji Chuan et Qi Gong) tant en Chine que dans le monde. Or la pratique du Qi Gong n’est pas simplement un exercice corporel et mental, elle est également un support où s’expriment un certain nombre de valeurs culturelles. Ces valeurs sont intimement liées à la culture traditionnelle chinoise, sur la base du taoïsme, du bouddhisme et du confucianisme. La mondialisation de la Chine, qui est avant tout perçue sur le plan économique, a également entraîné le développement de ce qui est aujourd’hui appelé le « Soft power », intraduisible en français mais qui englobe un concept basé sur la culture au sens large. Le Qi Gong qui véhicule des valeurs traditionnelles participe ainsi à l’élaboration d’une image symbolique et souvent caricaturale de la Chine de la même façon que les arts martiaux chinois ont participé à la diffusion d’une autre image de la Chine et des chinois que celle d’un peuple et d’un pays destinés à la soumission.

 

Il ne s’agit pas de parer le Qi Gong de toutes les vertus. Il est clair que les pratiquants qui sont issus d’horizons divers, sont évidemment sensibles à l’attrait de la consommation et ne sont pas de purs esprits. On peut même affirmer que bon nombre de personnes profitent de la « mode » actuelle du Qi Gong pour utiliser cette pratique comme un outil de travail fort lucratif. En revanche, il est clair que les personnes qui pratiqueraient le Qi Gong dans l’esprit des traditions aborderaient certainement la vie quotidienne avec plus de sérénité face aux désirs compulsifs de la consommation.

 

En quoi la pratique du Qi Gong peut-elle participer à une nécessaire modification de comportement ? La pratique du Qi Gong permet d’atténuer les sentiments de frustration dans la mesure où un recentrage se fait par rapport à soi-même et non par rapport au regard extérieur. Elle permet de relativiser l’urgence de ses désirs en reportant les priorités vers des valeurs plus intérieures et d’être imperméable aux sollicitations extérieures. On reste conscient de leur existence mais on devient capable d’être en retrait en étant capable de s’en distancier. L’objet du désir ne devient plus un manque qu’il faut combler à tout prix, mais que l’on peut contempler de loin avec sérénité.

 

La notion de vide, souvent incomprise en Occident car souvent assimilée à la notion de néant, joue un rôle important dans la culture traditionnelle chinoise. Elle se retrouve également dans la pratique du Qi Gong et de façon plus générale dans les concepts de la MTC. Dans le cadre du développement durable, la vacuité engendre l’absence de désirs superficiels et donc d’achats compulsifs de biens de consommation. Ainsi, dans les traditions chinoises, on peut retrouver des éléments qui peuvent avec opportunité, participer à une posture de résistance à la surconsommation contemporaine.

 

L’équilibre psychique se recherche dans l’épanouissement individuel et non dans la recherche de reconnaissance sociale, et donc de compétition sociale destructrice.

 

La capacité de se réapproprier son corps est également un facteur important. Elle permet de s’abstraire de la préoccupation des regards d’autrui, et de donner une priorité à l’intériorité. Les regards des « autres » n’existent plus. Seule compte la propre perception de son corps, axée sur d’autres critères que ceux imposés par un formatage uniforme des normes d’une esthétique aussi artificielle que superficielle.

 

 

Santé et Qi Gong

 

Dans le développement durable, les questions de santé ont pris une ampleur particulière.  Les pratiques médicales, les industries médicales se sont développées sur la base d’une logique financière et commerciale. L’industrie pharmaceutique en particulier a évolué de façon dangereuse pour la santé des humains. Si au départ, la fabrication de médicaments pour soulager les humains était essentiellement orientée dans le but de soigner et de guérir des maladies, la dérive commerciale contemporaine a très clairement évolué vers une logique de profit, mettant au second plan la santé de l’homme. Ceci est particulièrement frappant pour les maladies affectant les populations les plus pauvres de la planète. En effet, les maladies des régions les plus déshéritées ne font plus l’objet de recherche et de développement. L’hypertrophie des coûts des médicaments les a rendus inaccessibles dans les régions les plus défavorisées de la terre.

 

 

 

 

Les coûts de la recherche et du développement de ceux-ci ont littéralement explosés. C’est ainsi que le développement d’un médicament coûte aux alentours d’un milliard et demi de USD avant que la fabrication ne commence. Ainsi, seuls les habitants des pays très développés peuvent accéder à de nouvelles molécules actives. D’autre part, les industriels dans les pays pauvres ou en développement n’ont pas la possibilité de produire les médicaments récents en raison des droits liés à la propriété industrielle. Certes les médicaments génériques peuvent être fabriqués, mais les contraintes d’utilisation et les négociations avec les grandes industries multinationales ne leur laissent pas une autonomie suffisante pour pallier à tous les problèmes sanitaires.

 

L’application du principe de précaution a un coût important. Si on reprend l’exemple des médicaments, certains médicaments chimiques ou biologiques peuvent présenter des risques qui, au regard des effets bénéfiques sont parfaitement acceptables. Lorsque le principe de précaution est appliqué à la lettre, le coût de recherche et de développement d’un tel médicament est tel, que son prix de vente en deviendrait prohibitif, même pour les pays développés pouvant financièrement assumer de telles charges. C’est ainsi que certains médicaments indispensables, en particulier pour les maladies tropicales ne sont plus développés ou même risquent de voir la production de ceux qui existent s’interrompre. Le principe de précaution a ainsi comme effet pervers d’exclure les plus pauvres des systèmes traditionnels. Face à ces effets pervers, l’Organisation Mondiale de la Santé tente de faire revivre des pratiques de médecines traditionnelles (3).

 

Certes, la pratique du Qi Gong ne permet pas de résoudre toutes les contradictions d’une politique sanitaire internationale. En revanche, elle permet, à un niveau individuel de pallier à un certain nombre de défaillances institutionnelles. C’est ainsi que les organismes de santé de certains Länders en Allemagne remboursent les pratiques de Qi Gong, ayant constaté que les personnes pratiquant le Qi Gong avaient une meilleure santé et consommaient moins de médicaments. Le Qi Gong peut ainsi faire partie intégrante d’une véritable politique de prévention en matière de santé. Elle permet d’intégrer une meilleure prise en charge individuelle de sa propre santé,  complémentaire d’une médecine où le « patient » est totalement passif. Il ne fait aucun doute que les apports connus du Qi Gong, permettraient de maintenir les pratiquants en bonne santé avec un coût financier minimum. Dans cette démarche, il ne s’agit nullement d’opposer une médecine allopathique à une autre approche. Il s’agit uniquement de diminuer les risques de pathologies par un mode de vie axé sur la conscience des capacités naturelles de l’organisme à répondre aux agressions  extérieures, que ce soit au niveau des infections banales ou au niveau du stress de la vie quotidienne. Outre les bénéfices de santé directs, la perception d’une prise en charge de sa propre santé, et de ses maladies peut être importante pour favoriser une meilleure efficacité des thérapeutiques allopathiques classiques.  

 

 

 

([3])  Les Médecines Traditionnelles, Henri Tsiang,  « Passages » 2005, pp.130-139.

 

La recherche du bonheur

 

Rien n’est plus d’actualité que la recherche du bonheur. Le fait est que les sociétés consuméristes ont assimilé la réalisation du bonheur à l’achat des objets de désir. Les objets deviennent des preuves de la réussite à l’accession au bonheur, illustrée par l’imagerie idéalisée du bienheureux et de sa famille. Entouré des symboles de la réussite sociale, maison, piscine, voiture, objets de grandes marques, le bienheureux possesseur de ces repères du bonheur n’a qu’un seul regret qu’il ne manquera pas d’assouvir, avoir une plus belle voiture que son voisin, faire de plus beaux voyages que la famille de l’amie de son épouse, posséder le téléphone le plus perfectionné qui vient de sortir il y a 24 heures. Cette course au bonheur est en effet un objectif raisonnable que tout un chacun peut atteindre, avec un petit effort financier, somme toute acceptable. En revanche, on ne peut pas dire que ce bonheur apporte une quiétude intérieure aux heureux bénéficiaires de cette situation idyllique dont rêvent une grande majorité de personnes qui n’y ont pas droit. La confusion selon laquelle le bonheur est fonction des revenus, si elle reste présente dans les actes, est bien perçue comme illusoire de façon inconsciente et refoulée. Il en résulte paradoxalement des perceptions d’un grand vide existentiel comme le montre la très grande consommation de médicaments et de méthodes pour « se sentir bien », pour s’« épanouir », pour « être zen ». Cette quête semble être souvent d’autant plus urgente que le statut économique des personnes est plus élevé, suscitant la création de nombreux instituts spécialisés et très lucratifs.

 

Comment échapper à cette spirale infernale du « toujours plus » qui ne résout pas totalement les exigences existentielles de tout un chacun ? A la suite des manifestations de mai 68, certains avaient cru trouver une solution dans le retour à la nature. Pour beaucoup, ce fut une catastrophe personnelle et une déstructuration totale des liens sociaux. Aujourd’hui, ce mouvement de retour vers une vie plus simple a en effet repris, avec plus de lucidité sur les enjeux, les dangers, et souvent plus d’atouts pour vivre une intégration régionale réussie. La pratique du Qi Gong avec ce qu’elle entraîne de recentrage des réelles priorités de vie, de distanciation aux utopies idéalisées, peut avoir une utilité dans ce contexte. Elle peut diminuer le stress dans l’abandon (sans regret) de la possession des symboles sociaux de la réussite par un recentrage vers des priorités plus intériorisées et un enrichissement personnel plus spirituel basés sur un sens profond de la vie.

 

Les recherches les plus récentes montrent de façon très évidente, que la richesse n’est pas ce qui fait notre félicité, un minimum étant cependant nécessaire pour ne pas être en situation de misère. En revanche, à partir d’un certain niveau de richesse, son augmentation ne provoque pas plus de sentiment de satisfaction, un plafonnement va intervenir pour rendre obsolète l’accumulation de biens. Cette notion n’est certes pas une nouveauté, mais elle est aujourd’hui mesurable. En revanche, un facteur important pour se sentir heureux est effectivement de posséder plus (argent) ou mieux (culture) que son voisin. Par ailleurs, le temps de loisir ne semble pas être un facteur de bonheur puisque les américains qui travaillent plus que les français sont nettement plus satisfaits de leur sort que les citoyens de l’hexagone qui bénéficient d’un temps total de loisir parfaitement surdimensionné. Mais là, il est possible que « l’exception française » soit une notion multifactorielle. La « morosité » des français est aussi attribuable à une posture intellectuelle de revendication et de stigmatisation de ce qui « ne va pas bien », tout en sachant qu’en France, sa santé est mieux protégée et son espérance de vie supérieure qu’aux Etats-Unis. Enfin si les loisirs et les plaisirs ne sont pas des facteurs déterminants, des études montrent que lorsqu’on donne du sens à ses activités, le bonheur peut, en effet, y être présent même si elles exigent un surcroît de travail.

 

C’est ainsi que de nombreux pays tentent d’établir des « indices de bonheur » qui seront utilisés en concomitance avec le PIB (produit intérieur brut). Toutes les études concourent depuis une dizaine d’années à établir les bases d’une politique du bien être. Plusieurs pays ont déjà réalisé des études. Même en Chine un indice du bonheur sera disponible dans les prochains mois dans le cadre de la politique gouvernementale pour établir une « société plus harmonieuse ». Je crains l’avènement par trop général d’une nouvelle norme internationale dans un indice de bonheur qui, à l’instar du Q.I. (quotient intellectuel), et du Q.E. (quotient émotionnel), mesurerait notre propension au bonheur ! Le marché du bonheur a vraisemblablement un avenir radieux. Tout un chacun sera heureux d’avoir un Q.B. (quotient de bonheur) supérieur à celui de son voisin grâce au stage intensif de bien être qu’il aura passé à grands frais dans le désert de Gobi !

 

Serait-il temps de trouver une corrélation directe entre la pratique du Qi Gong et l’indice de bonheur ? Par exemple, ne pourrait-on pas établir un gradient de l’indice de bonheur en fonction du nombre d’années de pratique de Qi Gong ….?  On sait aujourd’hui que les personnes heureuses résistent mieux aux agressions de la vie grâce à de meilleures défenses immunitaires. Il serait utile de savoir le niveau de participation du Qi Gong dans l’obtention d’un certificat de bonheur qui favoriserait également une meilleure santé !!!

 

Il est intéressant de noter que des recherches académiques modernes ont abouti à la conclusion que les personnes qui s’envisagent en situation de ne faire qu’un avec le reste du monde ont une plus grande propension au bonheur ! Ceci illustre on ne peut plus clairement la pertinence de l’attitude chinoise dans sa perception de l’homme comme intermédiaire entre le Ciel et la Terre depuis des millénaires. Détestant le concept d’universalité en tant que dogme créé par l’homme, j’adhère en revanche à l’universalité en tant que résultat d’une observation continue d’une réalité vérifiée au cours des millénaires.

 

Le changement du « soi »

 

Le changement semble être une donnée fondamentale partagée par tous. Pour autant, elle ne peut être considérée comme universelle. Autant les civilisations occidentales considèrent les changements comme une condition indispensable pour que la société se réforme à l’image de ce que chacun considère comme idéal, autant en Asie le changement est considéré comme une transformation de sa propre personne. Le Qi Gong peut jouer un rôle majeur en permettant à chacun de travailler en profondeur sur l’intériorité de son être. Ainsi le Qi Gong pourrait être un support pour une approche corporelle et mentale afin de se projeter dans la logique d’une démarche individuelle en cohérence avec le développement durable. La nécessaire attitude comportementale de consommer moins et mieux et de le faire en phase avec un positionnement mental et philosophique cohérent, permettrait aux pratiquants d’échapper aux contradictions contemporaines. C’est, bien sûr, la multiplication des démarches individuelles qui peut avoir une incidence réelle sur les changements de société. C’est la multitude de démarches personnelles qui peut créer des dynamiques collectives. Elles ne sont certainement pas à l’abri de dérives sectaires par la manipulation politique ou religieuse toujours prompte à exploiter la crédulité des esprits les plus aptes à accorder leur confiance. C’est sans doute la raison pour laquelle les taoïstes se méfient des spéculations intellectuelles propres à jeter le trouble dans les esprits et incitent à une perception instantanée et intuitive du « bonheur » immédiat et de l’instant présent. On peut considérer qu’une approche résolument individuelle est sans doute la meilleure garantie pour ne pas être abusé. Se promener dans la vie sans but et sans vouloir transformer la société est sans doute une attitude qui ferait bondir n’importe quel occidental normalement formaté. C’est pourtant une attitude à laquelle la Chine traditionnelle s’était exercée avec sagesse. En revisitant les pensées traditionnelles chinoises et en les confrontant aux réalités contemporaines, ne peut-on les concevoir comme des principes de vie plutôt que des règles ou des droits politiques, économiques, culturels, juridiques qui envahissent notre champ de liberté ? Serait-il utopique de penser que la redécouverte des « vertus » chinoises puisse aboutir à une sagesse généralisée pour ne pas utiliser abusivement le mot « universelle »?

 

La recherche d’une situation d’harmonie individuelle dans la tradition chinoise n’est pas uniquement de nature égoïste. Elle est indissociable d’une posture d’ouverture envers les autres et d’écoute de la vie ; elle est associée aux échanges naturels avec son environnement, avec la nature et la société. La pratique du Qi Gong s’exerce en l’absence d’une obédience quelconque à une religion, un dogme, une idéologie, une doctrine ou d’un quelconque maître à penser, ce qui lui donne une liberté incomparable.  

 

Infiniment pragmatiques et rejetant les spéculations intellectuelles sur ce qu’est, ou ce que doit être le bonheur, les asiatiques ou plutôt la culture chinoise incitent à la perception instantanée et intuitive des évènements. Certes, il faut changer les choses. Commençons par soi-même, en pratiquant le Qi Gong.

 

 

Henri Tsiang, DVM, Ph.D.

Ex-Chef de Service à l’Institut Pasteur de Paris

 

anlijiang@laposte.net

 

   

 



[1]  Textuellement crédits « à taux inférieur au marché » pour désigner une manière de solvabiliser artificiellement des ménages, au risque de bouleverser leur existence à la suite d’une éventuelle saisie immobilière.

[2] De source américaine, plus de 2 millions de ménages auraient perdu leur logement, pour cause de saisie « forsale », depuis 2007 aux USA. En proportion cela correspondrait à plus de 400 000 ménages en France. 

     



17/07/2011
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