Henri Tsiang

Introduction

Introduction

De Pasteur à Lao Zi, des Neurosciences au Qi Gong

De « Pasteur à Lao Zi » retrace un parcours de vie. Au cours d'une carrière de chercheur à l'Institut Pasteur, j'ai appris la rigueur de la démarche scientifique et découvert une vision du vivant à travers le monde de la recherche. Le milieu scientifique est un microcosme en soi, avec ses règles, son éthique et un mode de vie dirigé vers le travail pour comprendre le fonctionnement des systèmes vivants. Cette démarche rigoureuse est régie par des règles strictes qui sont le fruit d'une expérience collective de la communauté scientifique depuis plusieurs générations. Dans le cas de l'Institut Pasteur, les recherches ont comme objectif de soulager les humains des maux qui les accablent, et en particulier des maladies infectieuses. Animés par un idéal humaniste, les deux mille scientifiques de l'Institut travaillent dans une communauté solidaire n'excluant pas la compétition, voire les affrontements. Plonger pendant quarante ans dans ce milieu particulier m'a conduit à adopter un mode de pensée basé sur la rationalité scientifique. Soumise à la critique permanente de collègues en France ou à l'étranger, toute affirmation se doit d'être appuyée par des arguments incontestablement validés. Ce bain scientifique a créé des exigences dans l'appréciation de ce qui est vrai ou faux, créant des réflexes mentaux finissant par intervenir dans la vie quotidienne.

 

C'est l'application de cette rigueur scientifique dans tous les domaines qui a conduit à l'émergence d'une société industrielle et technologique moderne caractéristique du monde contemporain occidental. En Chine, cette révolution scientifique n'a pas eu lieu malgré les nombreuses découvertes de portée historique dues à l'ingéniosité des inventeurs chinois, mais restées sans impact sur l'émergence d'une pensée scientifique rationnelle. L'approche scientifique en Occident a conduit à rejeter la plupart des croyances populaires et les superstitions accumulées au cours des siècles. Les sciences du vivant ont indubitablement amélioré la santé et la qualité de vie des humains, et modifié les sociétés modernes.

Quelques années avant de prendre ma retraite, j'avais eu l'occasion de retourner en Chine, retrouvant des liens distendus depuis un demi-siècle. À partir des années 1980, de nombreux voyages m'ont permis de retrouver mes racines familiales et de découvrir l'histoire de mes ancêtres. À cette période s'ajoute une redécouverte et un approfondissement de la culture chinoise millénaire qui m'ont profondément marqué. Découvrant un champ culturel différent non superposable aux valeurs occidentales, je me suis non seulement intéressé à la médecine chinoise, mais aussi à la sagesse de la pensée chinoise taoïste qui en est un des piliers. Participant à des coopérations scientifiques et médicales avec les institutions chinoises, j'ai eu l'occasion d'observer la présence simultanée de deux formes de médecines qui, loin d'être en opposition, coexistent et sont utilement complémentaires.

 

La médecine chinoise s'appuie sur des concepts qui ne reposent pas sur les bases rationnelles et scientifiques reconnues en Occident. Ces concepts d'une grande complexité sont issus de l'observation empirique de leurs effets sur la santé des hommes. Ils sont principalement basés sur l'existence d'une énergie, le Qi, circulant à travers des méridiens. C'est l'accumulation de plusieurs milliers d'années d'observation et d'expérimentation que l'on retrouve aujourd'hui dans la médecine chinoise. Cette médecine n'est pas basée sur des raisonnements rationnels ni sur des croyances, mais sur la vérification de son efficacité, illustrant le pragmatisme des médecins chinois. 

Au moment de prendre ma retraite de l'Institut Pasteur, j'étais à la recherche d'une activité adaptée à cette nouvelle situation sociale. Mon choix s'est porté sur le Qi Gong. Cette pratique corporelle m'a permis d'aborder la médecine chinoise sans entrer dans la grande complexité de sa pratique et, en même temps, d'explorer les paradoxes de la pensée taoïste. Après une année de cours, l'envie m'a pris d'enseigner le Qi Gong et j'ai suivi la formation professionnelle dispensée à l'Institut Quimetao du docteur Jian Liu Jun, ainsi que l'enseignement de maîtres venus de Chine. Un an plus tard, j'ai moi-même commencé à l'enseigner.

Le Qi Gong possède des liens très étroits avec la médecine chinoise car tous deux sont basés sur les mêmes concepts. Il devint passionnant de comparer comment les évolutions de la médecine en Occident et en Chine contribuèrent à creuser un fossé culturel dans la façon de concevoir l'humain de part et d'autre du continent eurasiatique. Emprunter le chemin des pratiques corporelles chinoises conjointement à l'expérience du rationalisme scientifique m'a permis d'approcher une vision enrichie de la représentation de l'humain. Ce petit pas vers mes racines m'a réconcilié avec les valeurs chinoises, le confucianisme, le bouddhisme, mais surtout le taoïsme dont l'influence sur la médecine chinoise a été déterminante. C'est ainsi que j'ai porté un regard nouveau sur la culture chinoise dont je suis issu, celle dont mes parents m'ont communiqué l'essentiel sans jamais m'en avoir parlé. 

 

J’ai compris alors le rôle fondamental que le taoïsme a joué dans la relation de l'homme à la nature, sans pour autant aborder la question de la religion. Il a largement participé à la vision sur l'unicité du couple esprit/corps dont le concept commence à prendre place dans les pays occidentaux. J'ai appris à quel point les exercices de Qi Gong relient ces deux entités dans une indissoluble continuité. Au-delà des gestes visibles provenant des mouvements du corps, s'élabore une alchimie subtile interne qui ouvre à une autre dimension dans la compréhension holistique de l'humain. Elle se poursuit par la découverte des perceptions intérieures de son propre corps donnant accès à d'autres dimensions dans ses relations avec le monde extérieur, notamment par la perception de l'espace. Le Qi Gong est littéralement l'outil qui permet de partir à l'exploration de soi : de ce corps jusque-là inconnu dans lequel pourtant nous vivons et de ce cerveau dans les méandres desquels nous passons notre temps à nous égarer. Il en résulte une perception renforcée de la conscience de soi et de sa place dans le monde.

 

On n'échappe pas à son passé et je n'ai pas résisté à la curiosité de confronter les connaissances scientifiques les plus contemporaines avec les observations des taoïstes plus de deux fois millénaires. Dépassant la diversité des représentations de l'homme selon les cultures différentes, j'ai tenté d'explorer certaines corrélations entre deux mondes profondément différents mais néanmoins dotés de nombreuses passerelles. Mais ce faisant, on retombe rapidement sur la difficulté de trouver des interfaces communes, face à des concepts peu compatibles et à des perceptions trop différentes de l'homme. Cette difficulté trace les limites des tentatives d'intégration ou d'unification des médecines occidentales et chinoises. En revanche, un processus inexorable vers la complémentarité des deux approches est en route et sera un enrichissement pour tous.

 

 



24/01/2022
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