Henri Tsiang

Neurosciences et Qi Gong

 

Neurosciences et Qi Gong

 

Depuis la fin du siècle dernier, les recherches fondamentales en sciences du vivant ont évolué. Elles ont permis d’actualiser les connaissances en neurosciences, notamment en neurosciences cognitives grâce aux progrès de l’imagerie médicale qui ont permis de mettre en évidence l’activation des zones du cerveau sous différents stimuli. D’autres domaines des neurosciences ont également été explorés, en particulier au niveau du système nerveux périphérique dans la sphère gastro-intestinale.

 

Ces nouvelles données qui bouleversent quelque peu nos connaissances sur un grand nombre de fonctions ont modifié notre perception des relations corps-esprit et la façon dont l’homme établit des échanges avec le monde extérieur. 

 

Les découvertes en neurosciences au cours de ces deux dernières décennies permettent aujourd’hui de revisiter certaines des pratiques chinoises de santé qui, sous le nom de qi gong, commencent à jouer un rôle grandissant en France. Cette pratique ancestrale chinoise est utilisée depuis plus de trois milles ans pour rééquilibrer l’organisme et potentialiser ses propres capacités de défense. En Chine, elle fait partie intégrante de la médecine traditionnelle chinoise en s’appuyant sur les mêmes bases : la circulation de l’énergie ou « Qi » dans les méridiens. C’est sur ces mêmes méridiens que sont situés les points d’acupuncture qui sont aujourd’hui utilisés par de nombreux médecins hospitaliers pour des pathologies bien ciblées. Pratiquement, le qi gong ressemble en une gymnastique lente où le relâchement musculaire et mental, la respiration consciente, la concentration sont les principaux éléments. Le qi gong procure du bien être, améliore l’état général de la santé, atténue les effets du vieillissement et contribue à augmenter les défenses naturelles de l’organisme. Moins connu que le taichi chuan qui en est une des branches, le qi gong est pratiqué en Chine par des dizaines de millions de personnes. Le qi gong qui est encore peu connu en Occident souffre d’une difficulté à s’y faire reconnaître en tant que pratique permettant de se maintenir en bonne santé. La situation est différente en Chine où il est enseigné et pratiqué dans les universités médicales en parallèle à la médecine allopathique contemporaine. Il y existe en tant que l’une des branches de la médecine traditionnelle chinoise en médecine préventive mais également dans la pratique thérapeutique. 

 

Le Qi Gong, une pratique incomprise

 

Que peut-on reprocher au qi gong ? En raison des origines de son apparition en Occident, il véhicule parfois une image ésotérique. Le qi gong n’étant pas règlementé, cette pratique non encadrée a parfois donné naissance à des dérives sectaires de toute sorte. Dérives mystiques, charlatanisme, instrumentalisations politiques, pratiques relevant plus de l’illusionnisme et des spectacles publics ont entaché la réputation du qi gong. Le qi gong inclut également des exercices de méditation  relevant du domaine de la spiritualité ainsi que des gymnastiques de santé proches des arts martiaux qui peuvent dérouter les scientifiques désireux d’identifier cette pratique sur le plan scientifique. De plus, ses origines philosophiques qui prennent leur source autant dans le taoïsme et le bouddhisme que le confucianisme ne facilitent pas une démarche purement scientifique pour le valider. D’autre part, la nature même des pratiques de qi gong sont incompatibles avec des études rigoureuses dans une logique scientifique. Les bases médicales de la MTC sont bien trop différentes de celles de la médecine « scientifique ».

 

« Et pourtant elle tourne » disait Galilée face aux dogmes de l’Inquisition! Et pourtant  « ça marche » dirait-t-on aujourd’hui. Malgré de très nombreuses recherches essentiellement cliniques sur les effets avérés du qi gong dans les domaines de l’immunologie, de l’endocrinologie et d’un certain nombre de pathologies, les milieux médicaux et les chercheurs en sciences de la vie restent sceptiques. Même si certains hôpitaux en France commencent à intégrer des pratiques de qi gong, ces expériences restent en France une exception alors que les cours de qi gong sont déjà remboursés dans certains pays européens dont l’Allemagne au niveau des caisses fédérales d’assurance-maladie. Les pratiquants sont en meilleure santé et consomment moins de médecine (soins et médicaments).

 

Quelles sont les données de la neuroscience contemporaine qui aujourd’hui, permettent de réévaluer les effets de la pratique du qi gong ?  

 

Plasticité Neuronale

 

Depuis quelques années, les connaissances classiques en neurosciences sont bouleversées par les nouvelles observations et les études sur la plasticité neuronale. Auparavant, il était admis qu’une fois adulte, le cerveau ne peut que perdre des neurones sans capacité de régénération, et que les éléments fonctionnels étaient figés sans possibilité de transformation. Les techniques d’imagerie par résonance magnétique (IRM), les méthodes d’imagerie fonctionnelles, les techniques électrophysiologiques montrent au contraire que loin d’être définitivement fixé dans sa fonctionnalité, le cerveau était capable dans certaines limites, de se régénérer, d’établir de nouvelles connections, de contourner des difficultés en prenant des chemins secondaires, bref d’avoir une stratégie d’adaptation qui lui permet de se transformer en permanence.  

 

La plupart des découvertes en plasticité neuronale proviennent d’observations cliniques sur des déficiences neurologiques. L’utilisation d’outils appropriés ont permis de montrer que les composants du cerveau ont une stratégie dynamique pour contourner ces déficiences et de favoriser cette auto-réparation. Quelques exemples sont fournis par le Docteur Norman Doidge dans son livre « The Brain that changes itself » paru en 2008. Ces techniques sont des outils qui permettent de faciliter le renforcement de connections nerveuses existantes ou de diriger des informations nerveuses vers d’autres voies que celles habituellement utilisées. Grâce à un entraînement ciblé, les voies nerveuses « empruntées » vont devenir de plus en plus efficaces pour véhiculer ces informations, se substituant ainsi à celles qui ne sont plus opérationnelles. De la même façon que les exercices de renforcement de la mémoire permettent d’être plus performants, des exercices appropriés favorisent et facilitent des activités physiques et/ou mentales complexes.

 

Qi Gong et Neurosciences

 

Or c’est exactement ce que le qi gong propose, non pas pour pallier des activités déficientes, mais pour renforcer des capacités physiques et mentales sur des personnes sans pathologie particulière. En réalité, la plupart des directives dans la pratique du qi gong sont de façon empirique destinées à favoriser et à améliorer de meilleures performances et à « harmoniser » le fonctionnement normal de l’organisme. La concentration mentale, la visualisation, la respiration consciente, le travail sur le « ressenti » sont autant d’outils que les pratiquants de qi gong utilisent. Or les neurologues contemporains utilisent des outils similaires dans une démarche très similaire à celle des maîtres de qi gong pour améliorer et renforcer le fonctionnement des voies nerveuses.

 

Ainsi les découvertes en neurosciences peuvent apporter des éclairages sur les mécanismes de fonctionnement du qi gong. Sans pouvoir apporter de preuves directes des effets du qi gong, on peut pour le moins établir des parallèles et des corrélations entre ces deux disciplines.  

 

Respiration

 

Prenons l’exemple de la respiration. Quoi de plus naturel que la respiration ? Nous y sommes tellement habitués que c’est seulement quand on fait l’effort d’y penser que nous prenons conscience de son existence. On y fait attention lorsqu’on se trouve dans une situation inhabituelle : de surprise, de peur, d’angoisse, de stress, d’efforts physiques. On a le « souffle court », le « souffle coupé ». On ne survit pas si on ne respire pas pendant un temps de l’ordre de quelques minutes.  

 

Alors pourquoi dit-on qu’il faut se concentrer sur sa respiration dans toutes sortes de pratiques, yoga, qi gong, tai chi, méditation, sophrologie, reiki, relaxation, harmonisation du corps et de l’esprit, etc.? alors qu’il s’agit d’un phénomène physiologique « naturel » ? Les pratiques récentes et contemporaines de développement personnel, de bien-être, d’épanouissement personnel, etc., … « découvrent » l’importance de la respiration depuis le siècle dernier dans les pays développés. Cet effet de mode a certainement contribué à faire « découvrir » le qi gong.

 

En s’appuyant sur les mécanismes de la plasticité neuronale, on peut postuler que la concentration et la visualisation sur la respiration consciente, en particulier en se concentrant sur les muscles de l’abdomen peuvent avoir les fonctions suivantes : 1/ une meilleure communication entre la respiration conscience corticale et les fonctions de respiration spontanée automatiques dont les centres sont bulbaires; 2/ une meilleure communication avec d’autres fonctions dont celles du rythme cardiaque dont on sait aujourd’hui que la cohérence cardiaque est en relation avec la respiration ; 3/ une intervention sur le métabolisme endocrinien et les médiateurs immunologiques ; 4/ des effets sur l’hyperventilation dont on connaît les conséquences sur une modification de l’état mental, etc.

 

On peut poser l’hypothèse que les effets de la respiration consciente sont surtout liés à la capacité des circuits neuronaux à se renforcer et à devenir de plus en plus performants dans différents domaines (immunitaire, neuroendocrinien, etc.), embrassant ainsi le champ de l’émotion et du comportement social. Les études sur l’activité cérébrale des méditants expérimentés montrent qu’ils ont acquis des capacités mentales développées par une pratique assidue. L’enregistrement des activités cérébrales de bonzes tibétains montre qu’ils développent des capacités cérébrales particulières grâce à la méditation  comme le rapportent Matthieu Ricard et Richard J. Davidson, chercheur à l’Université de Wisconsin, Madison. Le qi gong permet de l’étendre à des domaines bien plus vastes. Les maîtres de qi gong était-ils des neuroplasticiens avant l’heure ?

 

Le Second Cerveau et la Neuro Gastro Entérologie

 

Il est un domaine où la symbolique des mots prend toute son importance. C’est un fait d’observation courante que les émotions fortes, les difficultés de la vie courantes, les ennuis de travail se manifestent par des troubles psychologiques mais également par la sensation d’avoir l’estomac noué. Pour les Taoïstes, le Dan Tian Inférieur est le centre énergétique du corps, d’où l’assimilation à un Second Cerveau dont le fonctionnement mérite toute l’attention. En particulier, la prise de conscience de l’existence de ce centre et de son fonctionnement est une donnée importante. L’accent est mis sur la nécessité de relier le « cerveau supérieur au cerveau inférieur », de faire « descendre » le premier vers le second. Il est intéressant de noter que les racines de la culture occidentale ont plutôt favorisé les fonctions intellectuelles et mentales du cerveau dit supérieur. Ce concept taoïste a été développé par un maître de qi gong, Mantak Chia dans un livre sur le Chi Kong du Second Cerveau. Il y décrit les moyens de « cultiver et condenser le Chi dans le Tan Tien Inférieur ».

 

Les développements de la neuro-gastro-entérologie à la fin du siècle dernier ont donné naissance à une nouvelle discipline et dont un livre marque l’interface avec le qi gong. Ce livre intitulé : The Second Brain  ou « Your gut has a mind of its own » (1998) a été publié par Michael D. Gershon, directeur du département d’anatomie et de biologie cellulaire à l’Université de Columbia à New-York.  Dans cet ouvrage, l’auteur décrit l’existence de neurones et de neurotransmetteurs dans les intestins identiques à ceux présents dans l’encéphale. Ils ont à peu près les mêmes fonctions, en particulier en ce qui concerne les émotions. A-t-on oublié qu’ « avoir des tripes » ne concerne pas uniquement un courage volontaire ? Une peur intense peut déclencher des cataclysmes intestinaux qui à priori n’ont aucune raison de se produire si une relation physiologique et une communication permanente n’existaient entre les deux « cerveaux ». Comment cela est-il possible ? Simplement parce qu’au cours du développement embryonnaire, le système nerveux central et les tissus des futurs organes de la sphère gastrique ont la même origine. Par la suite, ce qui les relie sera essentiellement constitué par le nerf vague dont l’importance du rôle était sous-estimée. En réalité, l’état des intestins a des répercussions importantes sur l’état du cerveau « supérieur » et donc sur les états émotionnels et l’état psychologique. Le sentiment de bien-être ne survient que lorsque les deux cerveaux sont en « harmonie ».  En fait, le nombre de connexion des neurones intestinaux avec l’ensemble de l’organisme est aussi important voire plus grand que celui des connections directes des neurones de l’encéphale avec les autres organes. Les neurones intestinaux interviennent aussi dans des domaines aussi différents que la régulation des cycles de sommeil, la régulation de la douleur et de l’anxiété, etc..

 

En Europe, la dissection anatomique de l’homme a été une démarche analytique et parfois réductionniste, procédant séquentiellement vers l’étude de l’organe isolé, puis de la cellule et enfin à l’échelle moléculaire. Les chinois ont eu une approche « holistique » de l’homme, ils

ont porté plus d’attention aux relations complexes entre les organes et les influences  réciproques entre eux. La « découverte » du second cerveau par les taoïstes il y a deux mille ans et considérée auparavant comme une fantaisie sans intérêt au siècle dernier, mérite aujourd’hui d’être réexaminée à la lumière des découvertes scientifiques de ces deux décennies.  

 

Une complémentarité neurosciences qi gong

 

Nous sommes loin d’avoir épuisé le débat sur la science et le qi gong. De très nombreux aspects n’ont pas été évoqués faute de pouvoir trouver le mince fil d’Ariane qui pourrait être le lien entre des disciplines aussi différentes. Nous n’avons pas abordé la vaste question de la nature de l’énergie ou qi, invoqué par les maîtres de qi gong. Une énergie non mesurable dont la seule réalité se traduit par le ressenti que l’on peut en percevoir. Le système des méridiens d’acupuncture sur lequel s’appuie le qi gong n’a toujours pas trouvé une identité physiologique. N’a-t-on pas eu tort de réfuter l’existence de la radioactivité avant de pouvoir la mesurer avec un compteur Geiger ? La biologie avance souvent par des sauts quantiques où les anciens dogmes sont immolés sur l’autel des nouvelles découvertes. L’explosion des nouvelles découvertes en neurosciences est une vraie opportunité pour tenter de comprendre les mécanismes qui régissent les effets du qi gong. La pratique du qi gong ouvre aussi la voie à des méthodes éprouvées pour l’étude des relations corps-esprit, dans une démarche parallèle à celle des neurosciences cognitives. Elles peuvent être des outils complémentaires pour des approches thérapeutiques, notamment dans les maladies psychosomatiques.

 

Henri Tsiang

 

Texte publié dans la revue Génération Tao N°56 Avril 2010

 

 



17/07/2011
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